Grégory Tilhac
Directeur artistique du festival
73 longs-métrages, 64 courts-métrages : voici le très copieux programme de cette 29ème édition de Chéries-Chéris. Une nouvelle fois, les artistes sélectionné.e.s explorent avec talent et ambition tout le spectre des émotions et des combats qui nous animent. En effet, le cinéma amplifie l'écho des rumeurs du monde et interroge, par l'imaginaire, le réalisme ou l'inventivité formelle, les problématiques liées aux genres, aux identités, aux rapports entre les individus, aux interdits et à la sexualité qui traversent nos sociétés contemporaines.
Festival parisien et profondément universel, Chéries-Chéris se veut le carrefour de la création cinématographique LGBTQI+ du monde entier, comme en témoigne le nombre record de nationalités représentées cette année (plus de 40 !) : du Brésil à la Nouvelle-Zélande, en passant par la Chine, l’Iran, l’Inde, la Colombie, la Corée du Sud, le Nigéria, le Kosovo, la Lettonie, la Bulgarie, la Géorgie, le Liban ou encore l’Égypte.
Humour déglingué, rêves érotiques, discours politiques radicaux, porno vintage, romances pimentées ou expérimentation semi-théâtrale, tout le champ des possibles vous sera proposé. Cette année, plus que jamais, les cinéastes font tomber les conventions, explorent nos fantasmes et clament haut et fort leur droit à la créativité, à l’impertinence et à la folie. Intersectionnalité, convergence des luttes, affirmation de ses propres désirs… les œuvres présentées nous invitent à sortir définitivement des stigmatisations cis-hétéronormatives !
Depuis le New Queer Cinema du début des années 90, beaucoup de films LGBTQ+ ont vu le jour et les queer studies ont fait évoluer le genre, non seulement sur les thématiques mais, surtout récemment, sur les formes. On parle de plus en plus souvent d'ailleurs de « trans film » quand la forme même de l’œuvre s'empare des genres cinématographiques pour en jouer et s'affranchir des cases. En résulte une euphorie cinéphile dont Chéries-Chéris ne cesse de se faire l'écho.
Cette année, on pense bien sûr au Orlando de Paul B. Preciado qui, en la matière, pourrait bien marquer un tournant symbolique. À travers un voyage poétique, une traversée politique, ce film galvanisant brosse le portrait d’un monde en mutation. On pense aussi à Framing Agnes, qui détourne génialement le format du talk-show pour mieux se réapproprier la mémoire trans par la communauté, ou encore à Anhell69, documentaire néo-noir hybride qui franchit les normes de genre pour un manifeste politique et onirique bouleversant. Sans oublier l’électrisant Conann de Bertrand Mandico qui livre une relecture queer, camp et féminine du célèbre personnage d’heroic fantasy, ici incarné par 6 actrices différentes. L’appropriation des genres cinématographiques les plus divers est tout aussi perceptible dans les courts-métrages présentés : western lesbo-queer, SF non binaire, queer revenge story, film de zombies romantique, giallo lynchien ou encore slasher movie porno !
À ce titre, Sans jamais nous connaître, notre superbe film d’ouverture, n’échappe pas à cette tendance enthousiasmante. 12 ans après son cultissime Week-end, Andrew Haigh revient avec une œuvre à la croisée des genres, entre thriller psychologique, film de fantômes et romance torride. Une entrée en matière idéale pour un cru 2023 plus que jamais orienté vers l’audace artistique !