Grégory Tilhac, Directeur artistique du festival

Grégory Tilhac
Directeur artistique du festival

30e CHÉRIES-CHÉRIS

30 ans déjà ! À l’occasion de cette édition anniversaire, on peut dresser un bilan très positif : Chéries-Chéris n’a cessé de gagner au fil des années en ambition, en notoriété et en succès public, au point de rassembler l’an dernier plus de 17 000 spectateurs.trices. Depuis ses débuts, et aujourd’hui plus que jamais peut-être, le cinéma joue un rôle essentiel dans nos regards sur nous-mêmes, nos émancipations, nos libérations individuelles et sociales. Un rôle fondamental pour nous projeter dans nos vies et les construire librement à notre mesure. Fidèle à lui-même, ce 30e Chéries-Chéris sera donc plus que jamais tourné vers l’avenir et les nouveaux territoires queers à explorer, à expérimenter. Cette année, nous aurons au programme 71 longs-métrages et 80 courts-métrages, la très grande majorité inédits, et venant des quatre coins du monde.

À l’aune de l’avancée des droits LGBT en France, on nous pose parfois la question si Chéries-Chéris a encore une raison d’exister et s’il a encore des combats à mener…  Certes, des progrès ont été accomplis dans la société en matière de droits mais les discriminations et les violences persistent, et les représentations ne sont toujours pas suffisantes dans les médias. Notre festival est avant tout un événement cinéphile, un moment de célébration de la formidable profusion et de la grande diversité et créativité du cinéma LGBT+. Mais notre mission est aussi d’honorer et de célébrer l’idée qu’il puisse exister une culture LGBTQIA+ et en être fier. En France nous sommes très frileux avec cette idée, hantés par le spectre du communautarisme à l’anglo-saxonne et habités par la notion d’« intégration », maître mot de l’égalité républicaine. Il est pourtant essentiel que les personnes LGBT+ se retrouvent aussi entre elles pour réfléchir aux enjeux qui les concernent et qui sont déjà suffisamment nombreux si l’on cherche à conjuguer toutes les tendances du sigle LGBTQIA+. Ce qui n’enlève en rien notre souhait de mettre à l’honneur des valeurs universelles : une cinéphilie généreuse et sans ornière, l’esprit d’ouverture, la curiosité, l’empathie et bien entendu le dialogue, sans aucun dogmatisme ou sectarisme. Tout le monde est le bienvenu à Chéries-Chéris !

Le cinéma peut être vu comme un miroir de la société et de ses préoccupations…  Au sein de ce très beau cru 2024 transparaît un véritable foisonnement thématique : la puissance de l’amitié, l’importance de la parole pour pouvoir faire société, les dynamiques de pouvoir, la parentalité, l’homophobie intériorisée et sociétale, les expressions sexuelles dissidentes, l’accueil des réfugiés en Europe, les « nouvelles familles » queer que l’on se choisit, la déconstruction du genre, la sexualité des seniors, la prostitution, la crise de la quarantaine, la santé mentale, le deuil amoureux etc. À cela s’ajoute un thème rarement abordé au cinéma : l’asexualité, terme qui renvoie aux personnes qui ne ressentent pas ou peu d’attirance sexuelle envers quiconque. C’est le sujet de Slow, un magnifique film lituanien qui sera présenté en compétition fiction. 

De manière plus générale, les cinéastes promeuvent de plus en plus l’idée de « fluidité » à tous les niveaux : fluidité du genre, de l’orientation sexuelle, mais aussi au niveau des formes cinématographiques. On parle d’ailleurs de « trans film » quand la forme même de l’œuvre s’empare des genres cinématographiques pour en jouer et s’affranchir des cases. En résulte une exaltation cinéphile dont Chéries-Chéris ne cesse de se faire l’écho. Un exemple ? Notre film d’ouverture Mika ex machina de Mika Tard & Déborah Saïag, présenté en première mondiale. Proche du cinéma direct ou cinéma-vérité, ce film-enquête lesbo-queer relève autant de la comédie que du thriller, en passant par la romcom, le buddy movie et le Cluedo vivant !

Parmi les autres temps forts (pour la plupart en présence des cinéastes), citons Egoïst du Japonais Daishi Matsunaga, un sublime mélo romantique gay présenté en première européenne ; Young Hearts du Belge Anthony Schatteman, un coming of age aussi lumineux que touchant sur un jeune collégien qui découvre l’amour ; Baby du Brésilien Marcelo Caetano, une belle histoire d’amour moderne entre un jeune délinquant et l’homme mûr qui le prend sous son aile ; Les Reines du drame d’Alexis Langlois, une hallucinante love story entre deux pop stars lesbiennes, avec le génial Bilal Hassani dans le rôle d’un fan obsédé ; Crossing Istanbul de Levan Akin, un bijou humaniste qui déjoue tous les clichés misérabilistes sur les personnes trans ; Sebastian, un film à la fois sensuel et raffiné sur un écrivain qui se livre à l’escorting pour nourrir ses écrits ; Tout ira bien, un drame d’une infinie délicatesse sur un couple senior lesbien à Hong Kong ; ou encore Amusement park, un film X brésilien traitant d’une nuit de cruising gay dans un parc, et qui aura les honneurs de la compétition (une première !).

Pour finir, un grand merci – au nom des actuelles et anciennes équipes organisatrices – au millier de cinéastes qui nous ont fait l’honneur de présenter leurs films à Chéries-Chéris ces 30 dernières années. Quelques noms ? Derek Jarman, François Ozon, Christophe Honoré, Sébastien Lifshitz, Gregg Araki, Stephan Elliott, Rose Troche, Hettie MacDonald, Matteo Garrone, Marlon Riggs, Lizzie Borden, Rémi Lange, Philippe Vallois, Zhang Yuan, Virginie Despentes, Abel Ferrara, Kimberly Peirce, Neil Jordan, Lisa Cholodenko, Bruce LaBruce, Cheryl Dunye, Larry Clark, Mike Nichols, Diego Lerman, Asia Argento, Yann Gonzalez, Joao Pedro Rodrigues, Monika Treut, Ferzan Ozpetek, Joachim Pinto, Patric Chiha, Marco Berger, Chloé Robichaud, Roberto Caston, Valérie Minetto, Karim Ainouz, Francis Lee, Andrew Haigh, Lionel Baier, Gaël Morel, Jonathan Dayton & Valerie Faris, Lou Ye, Luca Guadagnino, Bertrand Mandico, Emanuele Crialese, Saim Sadiq, Daniel Nolasco, Maryam Touzani, Paul B. Preciado, Katell Quillévéré, Yórgos Lánthimos, Apichatpong Weerasethakul ou encore Sean Baker (Palme d’Or 2024).

Arrêtons-nous là, la liste serait bien trop longue. Et à l’image de notre affiche, rendons-leur un « vibrant » hommage !

Grégory Tilhac, Directeur artistique du Festival